Résumé : Le titulaire d’un marché de travaux peut engager la responsabilité d’un autre titulaire participant à ces travaux, même s’il n’est pas lié avec celui-ci par un contrat, en raison des fautes commises par cet autre titulaire dans l’exécution du contrat de la personne publique. Il peut à cet égard se prévaloir de toute faute contractuelle et pas seulement la violation de dispositions législatives ou la méconnaissance des règles de l’art – CE, 11 octobre 2021, Sté CMEG n°438872
Classiquement, le Conseil d’Etat donne une pleine force au principe de l’effet relatif des contrats en considérant que la qualité de tiers au contrat fait obstacle à ce qu’un requérant se prévale d’une inexécution du contrat dans le cadre d’une action en responsabilité quasi-délictuelle (CE, Sect. 11 juillet 2011, Mme Gilles, n° 339409). A l’inverse, la Cour de cassation retient depuis son célèbre arrêt Société Myr’Ho qu’un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass.plén., 6 octobre 2006, n°05-13.255), position récemment réaffirmée avec force, toujours par l’assemblée plénière ( Ass. plén.,13 janvier 2020, n° 17-19.963).
Cette position peut sembler paradoxale tant le tiers au contrat administratif peut exercer un recours en contestation de la validité du contrat dès lors qu’il a intérêt à agir caractérisé par une lésion du fait d’un manquement aux règles de passation ou des clauses du contrat (CE, Ass. 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Le tiers peut même contester un refus de résiliation d’un contrat qui unit une personne publique à un cocontractant mais ce recours est soumis à des conditions d’intérêt à agir et d’invocabilité des moyens très strictes (CE, Sect. 30 juin 2017, SMPAT, n° 398445). En revanche, le statut du tiers est fort différent dans le contentieux de l’exécution du contrat où la jurisprudence Mme Gilles a été confirmée à plusieurs reprises, par exemple en refusant par principe que le maître de l’ouvrage puisse engager la responsabilité quasi-délictuelle du sous-traitant, dès lors que ces derniers ne sont pas liés par un contrat (CE, 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, n° 380419). Néanmoins, et c’était là le réel apport de la jurisprudence Commune de Bihorel, une exception a été instaurée en cas de violation des règles de l’art ou de méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires par le sous-traitant.
Par cette décision Sté CMEG, le Conseil d’Etat vient clarifier sa jurisprudence en la matière en jugeant que des participants à un marché public de travaux peuvent engager leur responsabilité quasi-délictuelle, alors qu’ils ne sont pas liés par un contrat, et ce, en raison d’un simple manquement à une obligation contractuelle de ce participant à l’égard du maître de l’ouvrage. Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme une exception à sa jurisprudence Mme Gilles, qui n’était pas nouvelle (par exemple : CE, 5 juillet 2017, société Eurovia Champagne-Ardenne et Colas Est, n° 396430) mais qui a le mérite d’en fixer les conditions. Cette décision constitue une clarification bienvenue qui témoigne aussi de la particularité du contentieux des marchés publics de travaux.
– CE, 11 octobre 2021, Sté CMEG n°438872